«
Le camp et le Cimetière Chinois de Noyelles-sur-Mer»
par Joseph de Valicourt * « On peut sétonner de trouver près
du hameau de Nolette, dans la commune de Noyelles-sur-Mer, un Cimetière
Chinois le plus grand de France il comporte près de
1500 tombes . Il faut remonter à la Guerre de 14-18 pour en connaître
lorigine .
Le « front » s'était définitivement stabilisé
: les troupes Belges occupaient la zone Dixmude-Ypres ;
l'armée Anglaise tenait de la frontière belge aux environs
de Péronne-Ham et l'armée Française, de là
à la Suisse . Les Anglais avaient leurs bases à Dunkerque,
Calais,
Boulogne et Saint-Valéry-sur-Somme (où entraient alors des
navires jaugeant jusqu'à 1.800 tonnes) .
La partie non envahie des départements du Nord, du Pas-de-Calais
et de la Somme était zone anglaise et l'entretien des routes, des pistes accédant au front et défoncées par les
innombrables convois et les bombardements, devait être assuré
par l'armée britannique .
Faute de main d'oeuvre sur place, les français
étaient au front ou trop utiles là où il en restait,l'Angleterre
passa un accord avec le Gouvernement Chinois, qui lui fournirait des travailleur
manuels. Les Anglais choisirent Noyelles, bien desservit par la
voie ferrée, proche du port de Saint-Valéry et assez éloigné
du front, pour y créer cette base, qui devint le dépôt
général au sens militaire du mot . Construite à droite et à gauche de la route
de Noyelles à Sailly-Flibeaucourt, touchant au village, fournie
en eau par une rivière où les Anglais la puisaient et l'envoyaient
dans des réservoirs, cette base s'étendait à la fin
de 1918 sur plusieurs centaines de mètres et occupait alors près
de 30 hectares . Dès juin-juillet 1916, fauchant les blès
en herbe, on commença la construction des premiers baraquements
;puis l'Etat-major logé chez l'habitant se constitua : un colonel,
deux lieutenants- colonels,nombreux officiers la plupart médecins,
chirurgiens,
ophtalmologistes, arrivèrent et dès la fin Novembre l'embryon
du camp était en place . C'est au tout début de 1917 que débarquèrent
du train (trop célèbres wagons de marchandises : hommes
40 -chevaux en long 8) que débarquérent donc les Chinois
...
Ceux-ci, après l'interminable traversée des ports chinois
au Havre, dans des rafiots peu confortables ... étaient immédiatement
entassés dans ces wagons et arrivaient enfin,épuisés,
à Noyelles . Aussi l'air libre, la terre ferme au terme de ce terrible
voyage, étaient salués par des cris de joie, ou plutôt
des hurlements sauvages, qui terrorisaient les enfants et inquiétaient
les adultes ; Qu'allaient être les relations, la co-existence continuelle
avec ces hommes ? . Vêtus de coton matelassé, bleu de chauffe,
jambes ficelées dans des bandelettes entrelacées, courte
veste, petit bonnet rond avec cache-oreilles de fourrure, les arrivants
avaient piètre mine . Leurs outils suscitaient la curiosité
et l'étonnement de tous : essentiellement des bambous, porte-fardeau
porté par deux hommes entre lesquels se balançaient sacs
de riz, poutres,
planches et autres . Ou porté par un homme, un bambou aux extrémités
duquel pendaient deux petits paniers pour porter des cailloux, machefer,
ferraille ; Et que dire des brouettes : sorte de triangle dont la roue
occupait le sommet, les brancards largement ouverts tenus bras étendus
par les brouetteurs, avec pour les agrémenter des languettes de
bambou frappant les rayons et produisant une triste mélopée
...
tel était le matériel . Des hommes dont beaucoup n'avaient jamais vu un avion
(dont ils firent au front la connaissance brutale) et qui marchaient en
trottinant... tels étaient les arrivants ... Heureusement ils étaient étroitements encadrés
par des sous-officiers et des soldats anglais ; solides gaillards munis
de gourdins et qui, tels des chiens de berger, allaient et venaient le
long des colonnes de coolies . Car ceux-ci marchaient toujours en file
indienne, ce qui constituait une véritable noria entre le camp
et la gare à 1200 mètres, d'où ils ramenaient ravitaillements,
matériaux de toute sorte, planches, madriers, ciment, pour toujours
agrandir le camp ; puis cailloux et machefer pour l'entretien des pistes,
des places du camp et même des tennis pour les officiers . Le camp comportait les baraquements de logement, cuisine,
salle diverses, hopitaux, prison et même un hopital ou plutôt
un asile pour les fous, car au contact du front, subissant des bombardements,
voyant leurs compagnons tués ou blessés, certains travailleurs
avaient perdus la raison ... cet asile solidement clos était éloigné
du reste . La discipline était très sévère
et les peines « correctionnelles » corporelles telles qu'usitées
en Chine, infligées par des chinois ou les anglais qui les encadraient
dans les convois . Pour occuper ceux qui attendaient leur convoi à
l'arrière-front, les anglais louaient des terres ... il y en avait
en friche par suite de la mobilisation des agriculteurs ; et on voyait
une longue ligne de 30, 60 ou 80 hommes bêchant côte à
côte, chacun une bande de 2 ou 3 mètres ... on cultivait
des légumes . Un officier anglais était spécialement
détaché à l'agriculture et aux locations de terres
. Au début, il y avait peu de relations entre chinois et habitants
du pays . Puis, les officiers ayant des « ordonnances » choisis
parmi les plus évolués, les envoyaient « faire »
la chambre qu'ils occupaient, entretenir leur feu, soigner leur cheval
; Et peu à peu, des relations s'établirent . Les chinois étaient extêmement friands de
pommes, ce fruit les sidérait littéralement et comme leur
salaire était payé en monnaie française, ils en achetaient,
en offrant des prix exhorbitants ...
dont certains noyellais profitaient ... Mais rapidement les chinois se
rendirent compte de la valeur exacte des fruits et ils marchandèrent
par geste . Dès 1918 ils avaient fort bien assimilé la valeur
de l'argent et surtout de l'or . Et les plus évolués
car ils le devinrent assez vite achetaient des pièces d'or
à 4 ou 5 fois leur valeur nominale . Cette cupidité amena
le drame Plutôt que d'acheter : voler et s'ils étaient
surpris : tuer . Il y eut deux affaires d'assassinat pour voler dans la
région de Rue . Après l'Armistice, la discipline anglaise
se relâcha un peu ; des chinois s'enfuirent et subsistèrent
de rapines ; Le camp ne fut jamais attaqué ni bombardé
par l'aviation allemande alors que les voies et la gare de Noyelles furent
souvent visés . Mais le 23 Mai 1918, au cours de la nuit, le dépôt
de munitions de Saigneville fut atteint et un formidable feu d'artifice
en résulta éclairant de pourpre tous les alentours à
plus de 15 kilomètres, accompagné des explosions des obus
qui faisaient trembler le sol .
Instruits par leur expérience du front, les chinois pris de panique
arra chèrent les clôtures en barbelés du camps et
s'enfuirent . Plusieurs ne furent retrouvés que quelques jours
plus tard après, blottis dans le bois et mourant de faim et d 'épuisement
. La fameuse épidemie de grippe espagnole ne les
a pas épargnés . Le camp fut alors mis en interdit et il
y mourut de nombreux travailleurs s'ajoutant à ceux qui avaient
été tués ou blessés à mort près
du front . Après la guerre les anglais regroupèrent
tous les corps et créèrent le Cimetière de Noyelles,
scrupuleusement entretenu par l'Angleterre . C'est la dernière
trace de cet épisode . Le 30 Octobre 1983, trois cars amenèrent de Paris
une délégation de 130 chinois appartenant aux diverses associations
qu'ils ont en France . Ils étaient accompagnés de l'Ambassadeur
de Chine à Paris et de l'Attaché Culturel de l'Ambassade
. Ils venaient rendre un hommage à leurs compatriotes qui reposent
là .
Après réception à la Mairie par la Municipalité
de Noyelles, les visiteurs se rendirent au Cimetière, accompagnés
de la fanfare de Noyelles et de plusieurs personnes dont les vieux habitants
qui avaient connus l'époque du camp . Après le dépôt
d'une gerbe, tous se rendirent au Préau de l'école où
la Municipalité offrait un vin d'honneur . En retour, les chinois avaient invité à
partager leur pique-nique avec les Conseillers
et les anciens de Noyelles qui avaient connus cette époque . Au
cours de la dégustation de mets chinois qu'avaient apportés
les visiteurs, furent évoqués les souvenirs qu'avaient conservés
les plus anciens habitants du pays ; Souvenirs rappelés en français
et que, phrase par phrase traduisait un interprête En souvenir de
leur visite, les chinois offrirent des emblèmes de leurs différents
associations à la commune de Noyelles . Ils ont promis de revenir . » extrait du Bulletin de la Société d'Emulation
d'Abbeville - Tome XXV , fascicule 4 - 1984 .
* Le comte Joseph de Valicourt avait
17 ans lorsque les Travailleurs Chinois arrivèrent sur "ses
terres" ... en 1984, le maire de Noyelles sur Mer qui reçoit
la délégation Chinoise à Nolette est Claude de
Valicourt .
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